Tuesday, June 30, 2009

Légalisation et civilisation

Il est un aspect du débat autour de la loi concernant l’avortement qui aura échappé à beaucoup. C’est celui de la civilisation ou, mieux, de la culture.

On sait que la culture est une des principales sources de la loi, si bien que l’on peut juger de l’état d’une civilisation donnée à partir des lois qui la gouvernent. On sait aussi — ou, tout au moins, on le sent bien — que, par nature, la loi est impersonnelle et touche à l’ensemble des citoyens : ”Nul n’est au-dessus de la loi”.

Cependant, aujourd’hui encore, nul n’imagine que l’on puisse voter des lois pour autoriser l’inceste, le vol, la torture et les violences dites conjugales. C’est dire que nous reconnaissons qu’il y a limites que nul n’est autorisé à franchir. Nous reconnaissons qu’il y a des actes qui sont universellement condamnables parce qu’ils enfreignent ce que la Convention de la Haye, en 1907, appelait les ”lois de l’humanité”. Or, parler de ”lois de l’humanité”, c’est reconnaître qu’il existe un ensemble de lois inscrites dans la nature humaine qui nous est commune à tous, une loi qui ne vient pas de nous, qui nous est antérieure et qui nous surpasse complètement.

De ce fait, cette loi transcende aussi les États, leurs parlements et leurs lois, pour la bonne et simple raison qu’un État se compose de l’ensemble des personnes qui sont ses citoyens. Nous touchons ici à l’un des plus graves problèmes de l’heure, un problème que l’on peut énoncer ainsi : la légalité — la loi — peut-elle déterminer la moralité d’un acte ?

Si l’on devait admettre que la légalité détermine la moralité d’un acte, il s’ensuivrait que tout ce que prescrit la loi, dans un État donné, devrait être tenu pour bon et moral par l’ensemble des citoyens ; inversement, tout ce qu’interdit la loi devrait être tenu pour mauvais et immoral. Mais admettre cela, n’est-ce pas admettre, une fois pour toutes, que l’État aura le dernier mot en toutes choses ? Qu’il sera capable de décider, de sa seule autorité, ce qui est bien et ce qui est mal, et d’y contraindre tous ses citoyens ?

Qui ne voit que ce serait légitimer d’avance toute forme d’arbitraire, de dictature et d’asservissement des consciences ? Précisément, pourquoi tous les régimes totalitaires du XXe siècle, de droite ou de gauche, se sont-ils employés avec tant de constance à justifier leurs décrets et leurs interdits vis-à-vis de l’opinion et à couvrir leurs crimes d’une lourde chape de secret ? Pourquoi ?... sinon qu’ils savaient parfaitement qu’ils enfreignaient une loi qui leur est supérieure et qui est gravée au cœur de tout homme. Une ”loi de l’humanité”. Au demeurant, si les militants de l’avortement se donnent tant de mal, année après année, pour faire avaler aux autres leur morceau, n’est-ce pas, justement, parce qu’ils savent que l’ensemble des Mauriciens n’y va pas spontanément ?

A la question posée ci-dessus, nous devons donc répondre, sans ambigüité, qu’aucune loi ne peut déterminer, par elle-même, la moralité d’un acte. Autrement dit, quand on aura « légalisé » ceci ou cela, il n’est pas sûr que l’on ait réussi à faire progresser la civilisation et la culture des Mauriciens.
Jean-Claude Alleaume

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